Avec une hausse médiane de 3,1 % en 2025, les entreprises misent sur une politique salariale plus sélective et stratégique.

Alors que les entreprises françaises sortent d’un nouveau cycle d’augmentations salariales, une tendance claire se dessine : les hausses ralentissent, mais les stratégies s’affinent. Face aux incertitudes économiques, à la pression réglementaire et à l’évolution des attentes des collaborateurs, les politiques de rémunération entrent dans une nouvelle ère : plus sélective, plus structurée, plus stratégique.

Les résultats de l’édition de juillet 2025 de l’enquête Salary Budget Planning menée par WTW auprès de plus de 700 entreprises en France révèlent des tendances qui marquent un tournant. Dans un environnement économique contraint, les politiques de rémunération doivent désormais conjuguer rigueur budgétaire, attractivité des talents et engagement des collaborateurs.

Une dynamique de stabilisation, dans un environnement contraint

En 2025, les augmentations salariales médianes attribuées en France s’élèvent à 3,1%, un chiffre en retrait par rapport aux niveaux de 2024 (3,8%) et inférieur aux prévisions formulées en début d’année (3,5%). Pour 2026, les premières intentions indiquent un maintien des enveloppes, avec un budget médian projeté à 3,2%, traduisant une forme de normalisation.

Cette inflexion s’explique principalement par une conjoncture économique incertaine et en raison notamment de résultats financiers moins bons qu’attendu et de politiques de maîtrise des coûts. Seules 10% des entreprises ont revu leur enveloppe à la hausse, souvent pour répondre à des tensions spécifiques sur le marché de l’emploi.

Malgré ce ralentissement, les augmentations attribuées restent significativement supérieures à l’inflation, estimée sous la barre des 2% pour l’année.

Vers une rémunération plus ciblée et plus méritocratique

Au-delà des montants et des budgets, la logique et le rationnel d’attribution des augmentations évoluent également. Les entreprises sont désormais 74% à privilégier les augmentations salariales pour mérite individuel, qu’il s’agisse de performance, de maîtrise du poste ou de contribution stratégique, comme principal critère. À l’inverse, les promotions ne constituent un levier d’augmentation que pour 43% des entreprises, et la pratique des augmentations générales, souvent liées à l’inflation, devient marginale.

Ces évolutions confirment une tendance de fond : la rémunération devient plus sélective, centrée sur la valorisation des talents les plus critiques. La tendance, notamment observée entre 2020 et 2024, à l’attribution d’augmentations générales ou collectives est significativement en baisse en 2025.

Des disparités sectorielles et structurelles marquées

Certains secteurs d’activité maintiennent des politiques d’augmentation plus généreuses, en raison de leur dynamique économique ou de tensions persistantes sur les compétences clés. D’autres secteurs, soumis à davantage de contraintes budgétaires ou à une reprise moins vigoureuse, ralentissent nettement.

Augmentations salariales médianes attribuées en 2025 en France, par secteur

Les secteurs de l’énergie, de la pharmacie et des services financiers enregistrent les hausses les plus élevées, au-dessus de la moyenne nationale estimée à 3,1%.

Source : Salary Budget Planning Survey, France – édition de juillet 2025

Secteur d’activité Augmentation réelle 2025
Énergies et ressources naturelles 3,5 %
Pharmaceutique et distribution 3,4 %
Services financiers 3,3 %
Industrie 3,2 %
Moyenne nationale tous secteurs confondus 3,1 %
Technologies, médias, télécoms 3,0 %
Industrie 3,0 %
Immobilier, transports, aéronautique 3,0 %

Ces données illustrent une logique différenciée selon les réalités économiques propres à chaque secteur, mais aussi selon les tensions sur les compétences.

Un marché de l’emploi toujours compétitif, mais moins sous tension

L’attractivité et la fidélisation des talents restent des préoccupations majeures, même si les tensions s’atténuent légèrement. En 2025, 28% des entreprises déclarent avoir rencontré des difficultés pour attirer ou retenir leurs salariés, contre 34% deux ans auparavant. Si la situation s’améliore, elle ne doit pas masquer les défis persistants sur certaines fonctions clés et dans certains secteurs.

Des politiques RH plus globales et multidimensionnelles

Face aux enjeux d’attractivité, les entreprises activent plusieurs leviers complémentaires à la rémunération. En moyenne, elles ont déjà mis en œuvre deux mesures et prévoient d’en ajouter une autre. Les actions les plus citées sont :

  • L’amélioration de l’expérience salarié (75%)
  • Le renforcement des politiques de diversité, équité et inclusion (65%)
  • L’évolution des dispositifs de santé et bien-être (61%)
  • Le développement des compétences et de la formation (58%)
  • Changements liés aux politiques de rémunération (p.ex. : salaire de base, variable court ou long terme, etc.) – (47%)
  • L’optimisation des modalités de travail flexible (44%)

La flexibilité est aujourd’hui bien ancrée : 89% des entreprises offrent un choix sur le lieu de travail, et 77% des collaborateurs travaillent à distance ou en mode hybride.

La rémunération, nouveau levier de réduction des inégalités

L’approche budgétaire des augmentations salariales ne se limite plus aux enjeux de performance ou de marché. Dans le prolongement de leurs engagements en faveur de l’équité, certaines entreprises mobilisent aussi leurs enveloppes pour corriger les écarts de rémunération injustifiés, notamment entre femmes et hommes.

En anticipation de la directive européenne sur la transparence des rémunérations, près d’un quart des entreprises françaises déclarent avoir déjà mis en place ou prévoir de mettre en place des hausses ciblées dans une logique de rattrapage. Une manière de lier conformité réglementaire, équité interne et engagement social.

Cap sur 2026 : transformer les contraintes en leviers de performance

Alors que les entreprises amorcent leur réflexion budgétaire pour 2026, une nouvelle dynamique s’installe : il ne s’agit plus seulement de réagir aux signaux économiques, mais d’anticiper les transformations, de sécuriser les talents clés, et de positionner la rémunération comme un levier d’impact durable.

Les choix opérés aujourd’hui dessineront la compétitivité de demain. Pour adopter une approche véritablement stratégique, plusieurs pistes s’imposent :

  • Évaluer et recalibrer vos structures salariales : après plusieurs années de hausses rapides ou généralisées, il est temps d’en mesurer l’efficacité, d’identifier les déséquilibres et de garantir la cohérence avec les architectures de poste à long terme.
  • Aligner la rémunération sur votre stratégie de compétences : dans un monde du travail en mutation, où les rôles évoluent et les besoins se redéfinissent, la rémunération doit accompagner l’upskilling, la mobilité et les projets de transformation RH.
  • Cibler les fonctions à fort impact business : une stratégie de rémunération efficace repose sur des arbitrages clairs. Il est essentiel d’identifier les populations critiques où la différenciation salariale peut prévenir les départs regrettables et renforcer la performance.
  • Prendre appui sur des données solides : face à la volatilité des tendances et à la pression sociale, seules des données robustes, fiables et contextualisées permettent de bâtir une politique salariale défendable, cohérente et crédible.

Les entreprises qui sortiront renforcées de cette période sont celles qui auront su investir avec discernement. Ce n’est pas la facilité des conditions qui crée l’opportunité, mais la capacité à prendre des décisions éclairées, avec les bons outils, les bons repères, et une vision de long terme.

Khalil Aït-Mouloud

Senior Director, Rewards Data Intelligence Practice Leader, WTW